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Interview de S.E. Norbert Richard Ibrahim: « La culture au coeur des politiques de développement »

En ce début d’ année, Son Excellence Dr Ibrahim Norbert Richard, Sous-Secrétaire général de l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OEACP), chargé des affaires politiques et du développement humain, nous a rencontrés pour revenir sur les moments clés qui marqueront l’avenir des secteurs culturels et créatifs des pays ACP, en particulier en ces temps de pandémie.

Votre mandat auprès de l’Organisation des états d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OEACP) a démarré en plein cœur des négociations du nouvel accord de partenariat entre les pays ACP et l’Union européenne (UE) qui viennent de s’achever. Comment envisagez-vous votre mandat ?

Je suis honoré d’avoir pu rejoindre l’OEACP au moment où elle revisitait les termes de sa coopération avec l’UE, son partenaire de coopération de longue date. Les ACP représentant quelque 1,5 milliards d’hommes et de femmes dispersés dans 79 pays, l’idée d’apporter ma contribution, aussi modeste soit-elle, au développement économique, humain et social de ces pays ainsi qu’au bien-être de leurs populations me réjouit fortement. Les défis restent cependant nombreux, depuis l’éradication de la pauvreté, le rétablissement et le maintien de la paix et de la sécurité, les droits de l’homme, la démocratie et la gouvernance, jusqu’à la lutte contre le changement climatique… Ces problèmes, qui ne datent pas d’hier, appellent des mesures coordonnées et intégrées aux niveaux national et régional, mais également des partenariats solides, tels celui mis en place entre l’UE et les membres de l’OEACP, qui s’est conclu le 3 décembre dernier, à l’issue de deux années de négociations. Et le développement humain et son corollaire intrinsèque, la culture, qui font partie de mes attributions en tant que Sous-Secrétaire Général, sont au cœur de ces questions enjeux.

Quelles orientations ont pu se dégager dans le nouvel accord post-Cotonou en soutien au secteur de la culture et de la création dans les pays ACP ?

La culture figure parmi les priorités de ce nouveau cadre de coopération entre l’OEACP et l’UE. A la différence de l’Accord de Cotonou signé il y a vingt ans, elle n’est pas seulement reconnue comme un secteur d’activité parmi d’autres, mais comme une dimension transversale qui doit être prise en compte également dans les autres politiques de développement. La culture, en effet, sous-tend toutes les activités humaines, et détermine les façons dont nous produisons, nous consommons, nous nous comportons en société… Le nouvel accord met aussi en avant les valeurs humanistes et sociétales liées à la culture, présentée comme un droit universel pour tous, un vecteur de dialogue, de paix et de tolérance et un gage de diversité. Il reconnaît de plus le rôle des industries créatives et du patrimoine culturel dans le maintien de la cohésion sociale, mais également comme source de créativité et d’innovation, et moteur de développement économique, et s’inscrit avec force contre le trafic illicite des œuvres d’art, un fléau qui touche de nombreux pays ACP… C’est un cadre très complet qui est établi, et un mandat clair pour que le secteur culturel et créatif puisse remplir le rôle qui est le sien en faveur du développement humain des pays ACP.

Un article récent de la Banque mondiale[1] désigne la culture comme un levier essentiel de la reprise économique « post-COVID 19 ». Après avoir été sévèrement affaiblies par la crise sanitaire, comment les industries culturelles et créatives des pays ACP pourront assurer ce rôle ?

Malheureusement, la crise n’est pas finie, et à ce stade nous n’avons pas encore une vue d’ensemble des dommages qu’elle a causés au secteur culturel et créatif dans les pays ACP. Mais nous pouvons déjà anticiper que son impact sera dramatique, comme partout dans le monde, car la pandémie est venue frapper de plein fouet un écosystème d’une grande richesse, mais intrinsèquement très fragile, surtout dans les pays en développement.

Il faut dire toutefois que la culture est par définition résiliente, et a le pouvoir de se réinventer sans cesse car, comme je le rappelais plus haut, elle est inhérente à l’humanité et à sa façon de voir et construire le monde. Mais elle favorise également la résilience des communautés en renforçant la cohésion sociale en leur permettant de surmonter leurs traumatismes et de se relever plus rapidement après une telle crise.

Nous savons tous combien l’art et la culture nourrissent l’intégration sociale, le plaisir, l’apprentissage, la création de sens, la réalisation de soi… Sans oublier que l’expression artistique et le divertissement peuvent contribuer à diffuser des informations sanitaires, encourager des changements de comportement et promouvoir des recommandations de santé publique.

Cette crise inédite aura servi de révélateur des vulnérabilités et des dysfonctionnements traditionnellement liés aux secteurs de la culture et de la création, et paradoxalement pourrait contribuer à les structurer et à les rendre plus forts. A cet égard elle constitue une calamité, bien entendu, mais elle offre aussi l’occasion d’opérer des choix courageux, de renforcer les filières culturelles et d’aller de l’avant dans la reconnaissance de la culture comme un secteur-clé du développement humain et économique. Pour ce faire les mesures à prendre sont nombreuses et nécessitent des investissements importants. Il faut avant tout que le secteur créatif puisse pleinement bénéficier des programmes de relance économique post-Covid lancés dans de nombreux pays, afin de pouvoir se relever plus rapidement. Mais il faut également que l’effort ne faiblisse pas une fois la crise passée, et que la culture, au même titre que l’environnement auquel elle est directement liée, deviennent des piliers de ce « monde d’après » que nous espérons tous plus durable et vertueux.

Dans ce contexte, la mise en place de politiques publiques appropriées, visant à soutenir et renforcer les industries culturelles et créatives s’avère indispensable.

Le programme ACP-UE Culture, financé par l’Union européenne et mis en œuvre par l’OEACP, représente un des principaux outils de soutien au secteur culturel des pays ACP. Quel regard portez-vous sur les résultats de cette première année d’activité en 2020 ?

Le programme ACP-UE Culture illustre les grandes ambitions nourries par l’OEACP et l’UE vis-à-vis de la culture et de la créativité comme moteurs de développement humain durable dans les pays ACP. Lancé en 2019, il a véritablement atteint sa vitesse de croisière cette année 2020, en inaugurant un principe innovant de subventions en cascade avec des résultats très prometteurs. En effet, les trois fonds de soutien à la coproduction audiovisuelle lancés en partenariat avec l’Organisation internationale de la francophonie et le Fonds de soutien à l’industrie cinématographique de Côte d’Ivoire (CLAP ACP), le Centre national du Cinéma et de l’Image animée (DEENTAL ACP) et le World Cinema Fund de la Berlinale (WCF-ACP) ont déjà permis d’octroyer un soutien financier à 52 projets de fictions, documentaires et séries dans pays d’Afrique et des Caraïbes, pour un soutien global de € 1 793 000. De nouveaux appels à projets permettront de poursuivre sur cette lancée en 2021. Nous avons également mis en place cette année un important mécanisme de soutien à la culture et à la création dans les six régions ACP, doté de € 26 millions. Dès 2021, six consortiums partenaires, constitués d’organisations régionales et internationales, lanceront chaque année des appels à propositions ciblant tous les secteurs de la culture. Malgré la pandémie du Covid-19, la mise en œuvre du programme s’est poursuivie sans relâche, et en cette fin d’année 2020, nous pouvons être fiers du travail accompli.

A l’issue d’une année quelque peu secouée, quels vœux souhaiteriez-vous adresser aux opérateurs culturels et créatifs des pays ACP pour 2021 ?

Pour reprendre les mots d’Aimé Césaire : « J’ai toujours un espoir parce que je crois en l’homme. C’est peut-être stupide. La voie de l’homme est d’accomplir l’humanité, de prendre conscience de soi-même ». C’est aussi le rôle de la culture, qui fonde notre humanité et nous rend plus nobles. J’espère que cette crise nous aide à mieux prendre conscience de l’importance des valeurs humanistes du respect, de la tolérance, du partage et du dialogue. Après une année marquée par le confinement, la distanciation, la peur de l’autre et la solitude, j’ose croire que cette année nouvelle sera porteuse d’espoir, de proximité, de socialisation, où le « vivre ensemble » retrouve tout son sens. Les artistes et les créateurs, dans les pays ACP comme ailleurs, ont un rôle essentiel à jouer dans cette renaissance, et doivent être soutenus et encouragés pour cela.

 

 

Photo: Organisation des Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique

[1] Banque mondiale: https://bit.ly/3o3g17x

 

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