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DAK’ART: Capitale mondiale de l’art contemporain

Dakar, ville créative…
Créée en 1992 d’un rêve partagé de quelques artistes et amateurs d’art, la biennale d’art contemporain africain DAK’ART est devenue, au fil du temps, un rendez-vous artistique continental incontournable. Dakar et le Sénégal constituent aujourd’hui un pôle essentiel de la création africain et mondiale. Et cette 14e édition et, à bien des égards, historique comme le confirme Me Sylvain Sankalé, l’un de ses plus ardents défenseurs.
La pandémie de la COVID-19 est passée par là et les créateurs d’Afrique et de la diaspora étaient dans les starting-blocks pour montrer le meilleur de leur génie créatif. Quatre longues années se sont écoulées depuis la dernière biennale. Plusieurs galeries d’art d’envergure internationale se sont installées récemment dans la capitale sénégalaise et un embryon de marché local de l’art voit, peu à peu, le jour. Des collectifs d’artistes se sont créés ou affirmés à l’instar de l’emblématique atelier « Medina » autour du styliste Cheikha et du plasticien Douts Ndoye ou de Kénu, le Lab’Oratoire des Imaginaires à Ouakam, animé par le musicien Alibeta. Tous deux pratiquent l’intelligence collective et s’investissent dans une plus-value sociale de proximité.
En plus des galeries d’art, de nombreux lieux de convivialité se multiplient dans la capitale sénégalaise, dans la foulée du fameux complexe Keur Gaïndé du pionnier Amadou Yacine Tham, un bâtiment prenant la forme d’une tête de lion géante qui déploie une galerie d’art, un hôtel, un restaurant et une discothèque qui a marqué les nuits dakaroises…
En 2008, Koyo Kouoh, curatrice d’origine camerounaise actuellement directrice du Zeitz Museum of Contemporary Art Africa de Cape Town, a créé la Raw Material Company, un centre pour l’art, le savoir et la société qui accueille des résidences, une académie et un centre de ressources. A Dak’Art 2022, Raw Material propose « le spectre des ancêtres en devenir », un travail de mémoire sur une communauté vietnamo-sénégalaise oubliée signé par l’artiste Tuan Andrew Nguyen qui vit et travaille à Saigon, Vietnam.
Aujourd’hui, Lulu Home Interior & Café allie décoration d’intérieur, création locale, libraire et espace de co-working avec de la petite restauration et des événements culturels. Loman Art House, une imposante villa située à quelques encablures du Monument de la renaissance africaine est à la fois un espace de rencontres et un lieu d’exposition, de création et d’accueil animé par Loman Pawlitscheck, une artiste australienne, née à Cape Town et installée à Dakar depuis 2007. Et les galeries d’art commencent à foisonner au Plateau, autrefois « centre-ville ».
Dak’Art 2022, un cru historique!
C’est dans ce contexte d’émulation créative tous azimuts que s’inscrit Dak’Art 2022, une biennale d’art intitulée « I Ndaffa » – forger, en langue sérère. Un thème invitant à réinventer les modèles qui ont inspiré de nombreux artistes. Cette 14e édition, qui a accueilli plus de 300 000 visiteurs, était dédiée à l’ouverture à de nouveaux publics tout en confirmant la portée internationale de cet événement unique en Afrique francophone. Elle se caractérise par une confrontation aussi inédite que fusionnelle entre les différentes générations de créateurs et par la découverte de nouvelles formes d’art, hors les murs.
Le projet spécial de cette biennale en est une belle illustration qui a ravi le public: Les Restes Suprêmes du dramaturge et metteur en scène Dorcy Rugamba, est une performance théâtrale, scénographique et visuelle où les masques parlent du passé, si justement revisité.
Le Dak’Art « In » est devenu une exposition géante investissant plus de dix lieux majeurs de la ville. Dans la grande exposition internationale rassemblant plus de 50 créateurs venus du monde entier: de Cuba au Kenya, en passant par la France, les Etats-Unis, le Nigéria, l’Afrique du Sud ou le Maghreb… les organisateurs ont rendu un hommage particulier à celui qu’on appelle le « Maître » Abdoulaye Konaté.
Fally Sène Sow est une des grandes révélations du Dak’Art 2022. Son installation « Rusty World » est unique en son genre et il confirme son immense talent de bâtisseur d’oeuvres aussi monumentales que détaillées en présentant « Chaos Colobane », à l’espace Vema sur l’embarcadère qui mène l’île de Gorée. L’artiste y reproduit avec minutie et un réalisme saisissant la vie quotidienne des habitants d’un quartier populaire de Dakar. « Ca, ce sont des années de travail et si c’était à refaire, je le referai! » clame l’artiste, habité par une passion transcendantale.
Au nouveau Musée des civilisations noires, où se tient également une grande exposition dédiée à Picasso, le Pavillon du Sénégal a fait forte impression avec les peintures d’Ibrahima Dièye, les sculptures en fer de Djibril André Diop, l’installation « Cent et poussière, incursion dans le Sine Saloum » de Mbaye Babacar Diouf et Arebénor Bassene ou encore les photos ethnographiques de Matar Ndour.
Au village de Ouakam, l’entrepreneur privé Khaly Sy vient d’inaugurer son tout nouvel espace « Esprit Boulangerie ». Il y accueille une extension du Pavillon Sénégal en présentant des œuvres de Kiné Aw, El Hadj Sy, Moussa Ndiaye ou Daouda Ndiaye… Et, à la Galerie nationale d’art jouxtant le siège de la biennale, c’est une carte blanche à Soly Cissé, l’un des artistes contemporains sénégalais les plus en vue sur la scène internationale, qui occupe tout l’espace et nous emmène de ses univers imaginaires colorés.
La Côte d’Ivoire était le pays invité de cette 14ème édition de DAK’ART. Le pavillon «made in Abidjan» a présenté des artistes de premier plan comme Jems Kokobi, Valérie Oka, Ernest Dükü, N’Guessan Essoh ou Pascal Konan. Très marquée par la volonté d’amener l’art dans l’espace public, la biennale proposait cette année une innovation majeure. Le Doxantu – promenade en wolof – est un parcours jalonné d’œuvres monumentales sur la corniche ouest de Dakar où 17 artistes majeurs du Continent présentent des installations en plein air. On y retrouve entre autres les créateurs Freddy Tsimba (RDC), Ki Siriky (Burkina Faso), Thiemoko Diarra (Mali/Belgique), Barthélémy Toguo (Cameroun) ou Diadji Diop (Sénégal) qui a fait sensation avec son buste rouge vif de nageur reprenant son souffle et son envol.
Un OFF de ouf!
Une véritable explosion d’événements s’est emparée de Dakar et de ses environs. Comme un feu d’artifices d’œuvres en tous genres, venues des quatre coins d’Afrique et de la diaspora du monde entier. Une foison de plus de 400 expositions en « off », de surprises et…d’éblouissements! Impossible de tout voir. Il faut se rattraper sur…Instagram et autres plateformes pour ne rien manquer !
Au Sénégal, on peut se dire que la relève est assurée lorsqu’en face d’un artiste majeur sur la scène dakaroise depuis le Président Léopold Sédar, El Hadj Sy, qui a droit à une exposition magistrale à la galerie Selebe Yoon, il y a une jeune génération montante, puissante, détachée des scories du passé et qui déborde d’énergie créative, montrant ainsi un nouveau chemin.
Pascal Nampemanla Traoré s’est distingué avec sa proposition artistique « Le Fil d’Ariane » qui invite le visiteur dans un labyrinthe installé sur un chantier au premier étage de la galerie Mémoires Africaines (à Saly, sur la petite côte du Sénégal, à 70 kilomètres de Dakar). A lui seul, Pascal inonde cet espace d’exposition improbable dans une installation qui fait la somme de son parcours de 25 ans de création, s’interrogeant sur la société de consommation avec un hommage remarqué à Pierre Rabhi.
Dakar confirme sa vocation internationale en accueillant depuis quelques années la résidence Black Rock, initiée par l’artiste afro-américain Kehindle Wiley, rendu célèbre par son portrait de Barack Obama. L’exposition présentait des œuvres des 32 résidents de Black Rock soigneusement mises en valeur dans la Maison de la Culture Douta Seck. Cette fois-ci, il n’y avait pas « d’American guest stars » mais le spectacle résidait également dans le public bigarré, mi-afro-punk, mi-festival de Cannes!
Des diasporas venues du monde entier avec une puissante énergie, à l’instar de ces Bruxellois : Precy Numbi, génie congolais de la récup’ dont les performances ont beaucoup séduit ; Laura Nsengiyumva, artiviste de retour à Dakar, 10 ans après y avoir gagné son tout premier prix ; Rokia Bamba, DJ énergique made in Brussels et membre du collectif « Troubles Archives », et Teddy Mazina, créateur visuel originaire du Burundi qui revisite l’histoire avec « Muzungu Tribes » dans le cadre du Matter Art Project. Reyana Sow, jeune entrepreneure bruxelloise sous le label Noir Concept présentait, entre autres, l’inclassable créateur d’origine rwandaise, Mucyo. Celui-ci réalise des portraits géants représentant des figures légendaires du monde noir sur du tissu avec de l’eau de javel et une brosse à dent pour tout instruments ! A la nuit tombée, Mucyo joue et jongle aussi avec le feu donnant aux soirées dakaroises très animées un cachet féérique.
Quand Dakar célèbre l’art, c’est aussi la danse, le spectacle vivant, le cinéma et la musique avec de mémorables soirées Nyege Nyege du côté de Yoff et l’inévitable rendez-vous du jeudi soir sur la terrasse de l’agence Trames, avec vue sur la Place de l’Indépendance au son des DJ’s en vogue qui font bouger Dakar.
La fête, certes. Mais l’art est aussi un marché. Une économie de l’art naissante voit le jour dans l’ouest africain autour du pôle dakarois qui attire de plus en plus de créateurs et de connaisseurs.
Une table ronde sur le financement et la structuration des industries culturelles organisée par le programme ACP-UE Culture a mis en lumière la nécessité de politiques culturelles nationales plus volontaires et d’une mobilisation de ressources sur le plan local pour ancrer les industries culturelles et créatives dans un processus durable et moins dépendant de ressources extérieures.
Auteur et Crédit photo: Bernard Verschueren, Creative Africa